Dates, styles et bonne année
La nouvelle année, c'est une question de style !... Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle mode, ou d'une manière plus ou moins dans le vent de présenter ses voeux. Vous allez comprendre.
Quand commence l'année au Moyen Âge ? Le 1er janvier ? Ce n'est pas si évident... L'année ne commence pas au même moment selon le style employé. Le style, c'est donc la date choisie pour débuter l'année. Et toutes les régions n'avaient pas le même style ! De quoi y perdre son latin ! Essayons d'y voir un peu plus clair, et de faire une liste des différents styles employés.
1. Le style de la Circoncision
C'est le style qui a fini par triompher. Il fait débuter l'année le 1er janvier, date traditionnelle de la circoncision du Christ. Il a été créé... avant la naissance du Christ ! En 46 avant lui-même, par Jules César, qui fixe cette date comme début du calendrier civil et astronomique. Il s'agit là d'une mesure parmi d'autres dans sa grande réforme du calendrier, donnant naissance au calendrier julien qui sera en vigueur en Europe jusqu'en 1582, et jusqu'en 1923 chez les Eglises orthodoxes d'Orient. Au Moyen Âge, ce style a été christianisé en « style de la Circoncision », mais n'était guère utilisé que par l'Espagne, d'où son autre nom : style espagnol. Les autres pays changeaient de millésime à d'autres dates ; et pourtant, chose curieuse, tout le monde considérait le 1er janvier comme l'« an neuf », ce qu'il n'était plus dans les autres styles ! Au passage, notons l'existence de l'ère espagnole (utilisée jusqu'au XVe siècle dans toute la péninsule ibérique et partiellement dans la Septimanie et la Provence), différente de l'ère chrétienne, puisqu'elle commence, pour des raisons assez obscures, en 38 av. J.C. Les dates espagnoles médiévale doivent donc être transcrites en leur retranchant 38. 1248 doit donc être lu 1210.
2. Le style vénitien
A Rome, avant la réforme julienne, l'année commençait le 1er mars. Après, ce n'était plus le cas que de l'année religieuse romaine (qui s'est donc différencié de l'année civile). Les Francs ont récupéré cet usage, qui fut donc celui des Mérovingiens. On le retrouve ensuite à l'état diffus jusqu'au XIIIe siècle. Mais ce qui fait son importance et qui lui a donné son nom, c'est que ce fut également le style adopté par Venise, et ce jusqu'en 1797.
3. Le style byzantin
Dans tout l'empire byzantin (et encore en Sicile et en Italie du Sud, même après la perte de ces territoires par Byzance), l'année commence le 1er septembre. C'est en effet la date de la création du monde, selon la tradition byzantine. L'année commence au 1er septembre de l'année précédente pour se terminer le 31 août de l'année en cours. C'est-à-dire qu'il faut retrancher 1 au millésime byzantin lorsque la date est comprise entre le 1er septembre et le 31 décembre. C'est également le point de départ des indictions (unité de subdivision du temps correspondant à 15 ans) grecques, et de celles de la Curie romaine jusqu'en 1087.
4. Le style de l'Annonciation, ou style florentin
Ce style fait commencer l'année le jour de l'Annonciation, c'est-à-dire le 25 mars. Il est aussi dit style florentin (stilus florentinus), car c'est le style en vigueur à Florence tout au long du Moyen Âge. Mais il fut également utilisé dans une partie de la France (surtout dans le Midi et le Dauphiné), de l'Allemagne, et en Angleterre (mos anglicanus) de la conquête normande jusqu'au XVIIIe siècle. Ce style est « en retard » de près de 3 mois sur le nôtre. Il faut donc ajouter 1 au millésime pour les dates antérieures au 25 mars.
5. Le style pisan
Le style pisan (stilus pisanus), en vigueur à Pise, donc, commence le jour de l'Annonciation, c'est-à-dire le 25 mars... Non, ce n'est pas une erreur ! Il est différent du style de l'Annonciation, car il commence non pas le 25 mars après Noël, mais le 25 mars qui précède Noël ! C'est-à-dire qu'il a exactement un an d'avance sur le style florentin et près de 9 mois sur le nôtre. Il faut donc retrancher 1 au millésime pour les dates postérieures au 25 mars.
6. Le style de la Nativité, ou style de Noël
Ce style fait débuter l'année à Noël, le 25 décembre. Il était utilisé en Angleterre avant 1066, chez les Carolingiens, chez les papes d'Avignon, et en Espagne où il se trouvait en concurrence avec le style de la Circoncision. Ce style est, après celui de la Circoncision dont il est proche, le moins source d'erreurs pour nous, car l'année donnée dans ce style n'est pas à changer, mis à part les 7 derniers jours de décembre où il faut lui retrancher 1.
7. Le style pascal, ou style de Pâques
Il s'agit là, pour notre malheur, du style à la fois le plus utilisé et le plus compliqué. Le plus utilisé, car c'est celui adopté par la France (mos gallicanus) et la plus grande partie de la Chrétienté à partir du XIIe siècle (dès le milieu du IXe siècle en Flandre). Et le plus compliqué, car Pâques est une fête mobile. Ce style revient à faire commencer chaque année à une date différente, comprise entre le 22 mars et le 25 avril. Le concile de Nicée (325) avait décrété que la résurrection de Jésus Christ serait célébré partout à la même date, fixée au dimanche qui suit le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après. Autrement dit, c’est le premier dimanche qui suit ou qui coïncide avec la première pleine lune après le 21 mars (équinoxe de printemps). La détermination de cette date se fait par des calculs assez complexes, utilisant la lettre dominicale et le nombre d'or astronomique, appelés comput. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des calculs du comput, et nous nous contenterons d'utiliser les résultats, que nous exposons ci-dessous dans un tableau pour la période comprise entre 1180 et 1220. Pour un tableau plus complet, il faut se référer à ceux établis par Arthur GIRY dans son Manuel de diplomatique (1894), encore utilisés aujourd'hui, car ce sont les plus complets pour tout le Moyen Âge.
Année | Date de Pâques |
1180 | 20 avril |
1181 | 5 avril |
1182 | 28 mars |
1183 | 17 avril |
1184 | 1er avril |
1185 | 21 avril |
1186 | 13 avril |
1187 | 29 mars |
1188 | 17 avril |
1189 | 9 avril |
1190 | 25 mars |
1191 | 14 avril |
1192 | 5 avril |
1193 | 28 mars |
1194 | 10 avril |
1195 | 2 avril |
1196 | 21 avril |
1197 | 6 avril |
1198 | 29 mars |
1199 | 18 avril |
1200 | 9 avril |
1201 | 25 mars |
1202 | 14 avril |
1203 | 6 avril |
1204 | 25 avril |
1205 | 10 avril |
1206 | 2 avril |
1207 | 22 avril |
1208 | 6 avril |
1209 | 29 mars |
1210 | 18 avril |
1211 | 3 avril |
1212 | 25 mars |
1213 | 14 avril |
1214 | 30 mars |
1215 | 19 avril |
1216 | 10 avril |
1217 | 26 mars |
1218 | 15 avril |
1219 | 7 avril |
1220 | 29 mars |
Cependant, un tel style pose en outre un problème délicat : deux dates identiques à un an d'intervalle peuvent avoir le même millésime ! En effet, par exemple, Pâques tombe le 29 mars 1209 et le 18 avril 1210. Tous les jours antérieurs au 29 mars 1209 seront signalé dans nos sources en 1208 (d'où une correction préalable) ; du 29 mars au 31 décembre, le millésime sera correct ; puis, du 1er janvier au 18 avril 1210, le millésime mentionné sera 1209 (d'où une correction à faire là aussi). Le problème reste entier, puis que les dates comprises entre le le 29 mars et le 18 avril 1209 et celles entre le 29 mars et le 18 avril 1210 seront toutes notées du millésime 1209 dans nos sources ! Par conséquent, il y a deux 29 mars 1209, deux 30 mars 1209, et ainsi de suite jusqu'au 18 avril 1209... Le problème est parfois résolu dans les sources par des mentions annexes, comme par exemple 18 avril 1209 « après Pâques » (donc 1209) et 18 avril 1209 « avant Pâques » (donc 1210), mais c'est loin d'être toujours le cas... Il réside par conséquent, au premier abord, une incertitude à un an près sur la datation exacte d'un laps de temps dans l'année compris environ entre une semaine et un mois dans le style de Pâques...
En France, le style de la Circoncision a remplacé le style de Pâques le 1er janvier 1565, suite à l'édit de Roussillon-Château en Dauphiné promulgué l'année précédente par le roi Charles IX.
L'année elle-même peut poser problème ; en effet, le Moyen Âge n'a pas toujours eu recours à l'ère chrétienne. Celle-ci a été inventée par Denys le Petit au VIe siècle, qui proposait comme an 1 l'an 754 de Rome (compté, lui, depuis la fondation de la Ville), car le Christ était supposé être né le 25 décembre précédent. Ce système s'est vite imposé à une partie de l'Italie (à l'exception notable de la Papauté qui continue de compter les années à partir de la fondation de Rome), et surtout à l'Angleterre, dès avant 1066, grâce à Augustin. Le royaume franc n'utilisa ce système qu'à partir du VIIIe siècle, et de la fin du IXe siècle (règne de Charles VI le Gros) de manière systématique. Le compte des années part de l'Incarnation du Christ, mais certains théologiens proposent de partir de l'an de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ, soit 33 ans plus tard. Ce dernier système ne sera guère adopté que dans le Rouergue et quelques autres régions au XIe siècle. Pour les XIIe, XIIIe siècles et suivants, c'est donc bien l'Incarnation du Christ qui prévaut dans la datation.
De manière générale, pas de panique! Dans les livres et la plupart des transcriptions de textes, la datation moderne est substituée à la médiévale. Sinon, il y a l'indication « v.s. » ou « v.st. » pour « vieux style », c'est-à-dire la datation du texte non corrigée, et l'indication « n.s. » ou « n.st. » pour « nouveau style », c'est-à-dire la datation moderne restituée...
Pour calculer rapidement une date dans n'importe quel style médiéval :
http://boysset.ifrance.com/boysset/calendar.htm
Cette page propose tous les styles indiqués ci-dessus, et transpose automatiquement la date dans le système de détermination romaine du quantième (c'est-à-dire le système des calendes, nones et ides). La détermination romaine du quantième était en effet encore souvent utilisé au Moyen Âge, en concurrence avec notre système actuel (position du jour dans le mois), et avec la détermination par rapport à une fête assez importante comme point de repère (« à la saint Rémy », « trois jours avant la Pentecôte », « le mardi après la saint Pierre et Paul », etc.)