La médecine médiévale : Apprendre la médecine, XIIe et XIIIe siècles.

Comme de nos jours, apprendre la médecine au Moyen Age nécessite un cursus particulier. Il est intéressant de constater que celui ci suit non seulement l'évolution des structures d'enseignement, mais aussi celle de la conception de la connaissance médicale influencée par l'Église, Platon ou Aristote.
Durant le haut Moyen Age, la médecine n’est pas un art libéral, puisqu’elle embrasse toutes les disciplines, tous les sept arts libéraux. La quête du savoir désintéressé, chère aux intellectuels médiévaux permet à la médecine d’atteindre un statut des plus nobles. A l'inverse, durant les années 1120, Hugues de Saint Victor présente une classification de la médecine dans les arts mécaniques, c’est à dire qui n’a pas de vocation spéculative, qui se tourne vers la pratique et l’utile, hors des sept arts libéraux. Cette position n’est plus tenable avec l’introduction du galénisme.
Au XIIe siècle, les maîtres salernitains réussissent la synthèse entre ces deux extrêmes : Ils parviennent à la sortir des arts mécaniques et à l’intégrer au sein des autres disciplines : La philosophie qui regroupe l’ensemble des savoirs humains basés sur la raison est divisée entre éthique, logique et théorique, elle-même divisée entre métaphysique, mathématiques et physique. La médecine appartient à cette dernière division, au même titre que la science des météores et de la physique à proprement parler. Elle est elle-même divisée entre théorie et pratique. Sa subordination à la physique s'explique par le fait que son objet d’étude est corruptible. C’est ainsi que la médecine devient une science.
Philosophie Éthique
Logique
Théorique Mathématique
Métaphysique
Physique Physique
Science des Météores
Médecine Théorie
Pratique
Le retour d’Aristote dans le corpus médical influence la place de la médecine : Par la différenciation epistemè/technè, il pose à nouveau la question de la place de la médecine. Est-ce une science qui consiste en une réflexion sur les choses universelles nécessaires, ou un art qui est du domaine du faire, dont l’artisan est l’origine, qui est contingent et pas nécessaire ?
Les XIIe-XIIIe siècle, l'âge d'or de l'école de Salerne.
Pendant le haut Moyen Age, jusque vers 1100, la médecine est enfermée dans les monastères qui conservent encore des reliquats de culture romaine. On y prodigue par charité des soins élémentaires et souvent inefficaces. Alors qu'elle prend une place croissante dans la vie de certains ecclésiastique, les détournant de leur vocation et de leur voeux de clôture, les conciles de Clermont 1130, Reims 1131, Montpellier 1162 et Tours 1163 leurs interdisent la pratique de la médecine et de la chirurgie. Elle revient donc aux laïcs.
Héritière de la tradition médicale arabe, l'école de Salerne, fondée au IXe siècle, est l'école de médecine la plus réputée du Moyen Age, la Civitas hippocratica. Pour sa création, diverses hypothèses ont été avancées. Elle serait due, soit à charlemagne, très en vogue en occident et garant de la respectabilité de l'établissement, soit aux arabes et à Constantin l'Africain, soit aux religieux de l'abbaye du Mont Cassin, proche de Salerne. Selon la légende, quatre médecins, l'Arabe Adela, le Juif Helinus, le Grec Pontus et le Latin Salernus, auraient contribué à la fondation de cette école, par l'union de leur quatre cultures. Si cette légende est difficilement acceptable tel quelle, elle rend bien compte de la position géographique de Salerne, au coeur de la Méditerranée au carrefour des échanges culturels.
La mise en place de cette école marque un réel progrès dans l'enseignement médical : Plus de pratique, des leçons de cliniques, des démonstrations anatomiques, des études de livres dont les traductions arabes de Constantin l’Africain, on y pratique la dissection du porc, « intérieurement semblable à l’homme » et la distillation de l'alcool. Moribonde depuis plusieurs siècles, la chirurgie s'y réveille au cours des années 1170. Les méthodes d’enseignement salernitaine préfigurent les méthodes de la scolastique, par le développement de la lectio et de la quaestio, indispensable à la résolution d’arguments contradictoires dans les textes sujets à interprétation. La direction est assurée par un conseil de médecins qui dès le XIIe, délivre un diplôme après examen médecin, sur la thérapeutique de Galien, le premier livre d’Avicenne, les Aphorismes d’Hipocrate.
La renommé de l’école s’étend rapidement. En 1140, Roger de Sicile interdit la médecine sans diplôme après un cycle d'étude réussi. Ceux qui pratiquent sans diplôme risquent la confiscation des biens et la prison. Frédéric II affirme qu'elle seule peut délivrer la licence de pratiquer la médecine.

"Si tu venais à manquer de médecins en voici trois excellents: la gaieté, la tranquillité et des repas modérés.";" De la Sauge, un homme peut-il mourir alors que la sauge fleurit dans son jardin?"
L'entrée de la médecine dans les universités.
Au XIIIe l’entrée dans les facultés favorise les contacts avec les autres disciplines, toute la philosophie naturelle s’ouvre sur la médecine. Parallèlement à l'ouverture des ports européens au commerce des drogues, des universités se créent en Occident. Issues des écoles cathédrales, elles ne se définissent pas par un bâtiment mais par une communauté d'étudiants et de mitres, d'autant plus mouvante qu'il est rare d'enseigner et d'étudier au même endroit bien longtemps. Trois établissements principaux concentrent tout d'abord les facultés de médecines réputées, Bologne, Paris, Montpellier. Ce sont des lieux ou l'on pouvait déjà trouver des communautés éducatives qui se structurent sous l'égide de l'Église et du pouvoir temporel. Si le 17 août 1220, une bulle du cardinal Conrad accorde des statuts à l’université de Montpellier, dès 1180 le pouvoir laïc affirmait : « Je ne donnerai à personne la prérogative et le monopole de pouvoir seul enseigner ou faire cours à Montpellier dans la faculté de physique car il est mauvais de concéder et donner à un seul le monopole dans une science aussi utile, et pour cela je veux et ordonne que tous, quels qu’ils soient, de quelques pays qu’ils viennent puissent sans être inquiétés donner l’enseignement de la physique à Montpellier. » C'est ainsi qu'on y enseigne les écrits grecs et arabes en provençal ou catalan. Les médecins juifs pour leur part font le pont entre les civilisations arabes et occidentales.
Nombre de livres font autorité dans le domaine médical médiéval, mais on distingue plusieurs époques et foyers de productions.
Bien que nombre des manuscrits conservés dans le monde monastique professent des remèdes inefficaces et des descriptions très sommaires des maladies, on y trouve aussi des pans importants de médecine greco-latine : Le traité des aphorismes, Airs, Eaux, Lieux, Maladies des Femmes, Semaine, nature de l’homme et Du Régime d’Hippocrate, Des sectes, l’art médical, Thérapeutique à Glaucon de Galien, le traité de Soranos, les encyclopédies byzantines d’Oribase, Alexandre de Tralles et Paul d’Egine. L’ensemble de la tradition est extrêmement hétéroclite, mais les maîtres professant à Ravenne, alors sous influence byzantine lui redonne une cohérence par leurs commentaires. Agnelus de Ravenne attache son nom à des commentaires sur le texte de Galien Du pouls à Theutras. Le lien est ainsi fait artificiellement entre la médecine Galénique et la philosophie Aristotélicienne alors que certains points sont irrémédiablement inconciliables. Tous les ouvrages répètent les mêmes notions, résumées par la citation attribuée sans doute abusivement à Aristote « La médecine est la philosophie du corps, la philosophie est la médecine de l’âme » .
Les traduction de Constantin l'Africain marquent un tournant capital dans l'évolution du corpus médical. Constantin serait né dans une des communautés encore chrétienne d’Afrique du nord, probablement à Carthage, vers 1015. On lui attribut de nombreux voyages certainement légendaires, jusqu’en Inde. Pour une raison inconnue, il débarque en Italie du sud, puis s’installe pour les dix dernières années de sa vie au Mont Cassin. Le monastère est alors fortement influencé par la tradition hellénistique. Il traduit de nombreux textes arabes en prenant soin de les camoufler sous un vernis grec de manière à les faire accepter plus facilement à ses contemporains. Parmi ces traductions, on compte des traités sur la diététique, les fièvres, et les urines de Ishaq al Isra, le viatique du voyageur par Ibn al Gazzar, les œuvres de Ishaq ibn Imran, les questions sur la médecine, l’Ysagoge de Hunayn ibn Ishar (Johannitius), les aphorismes d’Hippocrate, les commentaires alexandrins sur Galien. Il adapte aussi le Pantegni (tout l’art) tiré du livre royal de Ali ibn al Abbas al Magusi qui devient une référence que seul Avicenne parvient à détrôner. En effet, il reprend l’ambition des encyclopédistes byzantins de présenter en un seul ouvrage tout ce qui est nécessaire à un médecin. Il offre des connaissances fondamentales en anatomie. Cependant même Constantin éprouve des difficultés de traduction du vocabulaire technique, son œuvre est donc perfectible.
L'école de Salerne est aussi un foyer de publication du Xe au XIIIe siècle.

Roland de Parme réédite la cyrurgia de Roggero Frugardi (Roger de Parme), avec des additiones inspirées de gloses salernitaines, la Rolandina.
Hildegarde von Bingen (1098-1179), encyclopédiste sensé avoir écrit sous inspiration divine nous livre Causae et curae qui parle d’influence lunaire, du temps de la conception, de l’eau, des maladies, du brouillard, du lait, du désir sexuel, du tempérament, des menstrues, du sommeil, des pollutions nocturnes et de la respiration.
Au XIIe siècle, un autre traducteur, Gérard de Crémone enrichi à nouveau les bibliothèque. Il traduit à Tolède le canon d’Avicenne, la chirurgie d’Aboulcasis (Al Zahrawi), la pratique de Serapion (Ibn Sarabiyun), le commentaire à l’art médical de Galien de Ali ibn Ridwan, et des traités galéniques issus de l’arabe : des complexions, de la médecine simple, la méthode thérapeutique, de la crise, des jours critiques.
D’autre part, le corpus grec est retraduit en latin par Burgundio da Pisa.
La recherche de la version originale de Galien vire à l’obsession dans le monde occidental.
Les traductions de l’arabe se tarissent au XIIIe siècle après les parutions de Continens de Razhès, et du Taysir d’Avenzoar (Ibn Zuhr).
Les livre de chirurgie reprennent à peu près tous les mêmes poncifs. Le même groupe d'image est sans cesse recopié : opération de la cataracte, des polypes du nez et ablation des hémorroïdes, mais le style est très formel, il est possible que les médiévaux aient oublié comment les réaliser. Les dessins des instruments sont tellement dénaturés qu’ils en sont méconnaissables.
Les pathologies sont systématiquement présentées dans un ordre d’exposition traditionnel, de la tête aux pieds.
L'apprentissage de la médecine est en évolution perpétuel durant les XIIe et XIIIe siècle. Les lieux, les méthodes et les contenus changent, suivant les dynamiques démographiques, politiques et intellectuelles de leur temps. Seul les pathologies ne semblent pas affecter son développement, il faut attendre la peste du XIVe siècle pour que la médecine impuissante soit influencée par le type de maladies dont souffrent les contemporains, cela aura pour effet de la discréditer durablement.