La médecine médiévale, XIIe XIIIe siècles : les maladies au Moyen Age central
Cet article s’inscrit dans une série qui portera sur la médecine au XIIe et XIIIe siècles. Devant l’ampleur de la tache, j’ai décidé de scinder la synthèse en plusieurs parties.
La première s’est imposée naturellement, car sans pathologies, et sans malades, il n’est pas de médecine.
Le haut Moyen Age nous livre plus de 500 manuscrits dans lesquels les auteurs décrivent les cas auxquels ils ont été confrontés. Mirko D. Gmerk en fait la synthèse et nous livre ces chiffres :
343 cas infectieux 60 fièvres, 138 parasites, 8 morsures de serpents, 4 infections du système nerveux.
1091 cas sans infection 129 de l’appareil digestif, 43 de l’appareil respiratoire, 9 traumatismes ou luxations, 133 du système nerveux, 9 avortements, 426 autres : Angines, dyspnée, catarrhes, rage, charbon, pleurésie, phtisie, empyèmes, apoplexie, variole.
58 mentions pour les femmes : 18 au sujet des règles absentes, 5 contre la stérilité, 1 contraception, 5 portant sur les seins, 10 au sujet de la lactations, 9 sur l’utérus, 8 partaritions, 3 sur la mort in utero et 1 sur la gonococcie.
On constate un fort saturnisme alimentaire, dû à la glaçure des poteries, qui engendre des crises de goûte. Les intestins sont infestés de Tenia et lombric, il y a bien sur de nombreux cancers, et des afflictions des yeux et oreilles.
Les pathologies du Moyen-Age central ne sont pas très différentes de celles du haut Moyen-Age, mais les contacts avec le proche orient ajoutent encore de nouvelles maladies.
La variole se répand en méditerranée au XIIe siècle. Le scorbut et d’autres avitaminoses gagnent les troupes qui voyagent vers la terre Sainte, surtout s’ils sont nourris avec des charcuteries et salaisons. La grippe arrive à Venise au environ de 1172, elle parcourt l’Italie, la France, Angleterre et Saxe.
Deux épidémies dominent le XIIe siècle : Le début du siècle est marqué par le feu sacré, l’ergotisme, le mal des ardents ou le feu de Saint Antoine. Réputée survenir pendant les périodes de débauche collective, cette maladie est provoquée par l’ergot de seigle (clariceps purpurea), champignon qui se développe sur le seigle lorsqu’il est mal conservé.
Dans sa forme aiguë, elle se caractérise par des spasmes, contractures, délires suivie rapidement de la mort. Dans sa forme faible elle se manifeste par des cauchemars, d’énormes vésicules pleines de sérosités qui poussent sous la peau. Les membres sont pris de douleur puis noircissent et cassent à l’articulation. La gangrène sèche des membres est entraînée par les alcaloïdes vasoconstricteurs de l'ergot de seigle. On raconte l’histoire d’une femme malade qui se rendait à l’abbaye de Saint Antoine dans le Dauphiné sur une ânesse. Elle heurte un buisson et perd sa jambe qu’elle portera elle-même jusqu’à l’abbaye.
La maladie régresse dès le début du XIIe grâce à la conjonction de plusieurs facteurs. Facteurs agricoles d’abord, on ne sème plus de seigle seul, mais du méteil (blé+seigle), et le climat devient moins favorable à l’ergot. Facteur institutionnel ensuite : Durant les XIe et XIIe siècles, plusieurs guérisons miraculeuses ayant eu lieu à l'abbaye Saint Antoine de Vienne, un afflux de malades s'y produisit. L’ordre des Antonins, fondé en 1095, a pour but de soigner ces malades, et les nourrissent avec du pain de froment qui a le mérite de ne pas réintroduire d’ergot dans leur corps.
La dernière épidémie a lieu en Espagne au XIIIe, par la suite il n’y a plus que des attaques localisées.
Le lèpre redevient invasive et connaît son apogée au XIIe . Elle est perçue comme corruption du corps car l’âme est corrompue (Lévitique 13 ;46), et les médiévaux pensent que sa transmission est sexuelle. Dieu viendrait visiter plus intimement les malades de la lèpre que les autres ce qui en fait des hommes à part.
En réalité elle est due à une bactérie (mycobacterium leprae) qui se transmet par les postillons, le contact d’une plaie avec des muqueuses infectées ou des objets souillés comme les vêtements et les draps. Sa période d’incubation est longue de plusieurs années, et ce sont souvent les jeunes adultes qui la développent.
Bien que non mortelle, la lèpre a des effets très handicapants qui touchent non seulement la peau, mais aussi les yeux, le nez, parfois les organes internes et finie par l’amputation de certains membres. S’y ajoutent des conséquences sociales, le plus souvent durant la période médiévale l’isolement et la mort au monde.
Au XIIIe siècle, on compte 19000 léproseries en Europe, fondées par l’Eglise, St Lazare, les rois et l’Empereur. Si on estime que ces fondations accueillent entre 2 et 100 malades, 16 en moyenne, et que la moitié des infections ne présente pas de symptômes majeurs, on peut compter environ 600000 cas de lèpre pour une population de 75 à 80 millions d’européens avec la Russie, soit 0,8%.
Il n’y aura pas d’autres grandes épidémies jusqu’à la peste, mais on peut observer de nombreuses autres pathologies :
Les affections nasales, des trachées, du larynx et des poumons sont minutieusement décrites dans le corpus médical.
La tuberculose prend de l’importance, les scrofules (dérèglement du système lymphatique qui produit d’énormes ganglions dans le cou, cette forme est aussi désignée sous le terme d’écrouelles, sensées être guérie par le pouvoir thaumaturgique des rois de France) se font plus nombreuses que les phtisies (Forme pulmonaire de la tuberculose) à l’inverse du Haut Moyen Age. La cause en est peut être l’importation de bovins lombards un peu partout en Europe.
Les maladies nerveuses sont attribuées à des abcès dont le siège se situe dans la tête, à des endroits différents en fonction de la maladie : léthargie, apoplexie, épilepsie ou mélancolie. Elle serait causée par le surmenage, des commotions, ou des préoccupations d’argent.
L’hystérie serait provoquée par des spasmes de l’utérus. On recommande l’utilisation de parfums comme l’ambre ou le patchouli et une bonne hygiène de vie sexuelle pour la soigner.
Les affections des organes génitaux sont très étudiées, la blennorragie en particulier fait l’objet de toutes les attentions. Provoquée par le gonocoque (Neisseria gonorrhoeae), Cette maladie se traduit par des écoulements de pus par la verge ou le vagin. Il est possible qu’elle ait particulièrement choqué les médecins et les autorités, à tel point qu’en 1143 un règlement est édicté contre les filles porteuses du « mal détestable ».
Les calculs, ainsi que leurs diverses manifestations hématuries (présence de sang dans les urines) et stranguries (spasmes de l’urètre qui rendent la miction difficile et lente) sont observées.
Dans les chapitres sur les hémorroïdes, les auteurs décrivent le terresme, la lientérie, mais aussi les maladies de foie et de la rate.
Enfin nous citerons sans nous y arrêter les diverses fièvres (typhoïde, palu), dermatoses, suppuration interminables, et traumas innombrables qui nous sont relatés. On signale aussi des maladies des reins, de la vessie, le diabète et de nombreuses autres maladies vénériennes.
Il nous reste à nous pencher sur le statut du malade. Celui ci est très ambigu. Il est à la fois rejeté et élu. Il est haïssable car il reproduit l’image du péché originel. Néanmoins il souffre à l’image du Christ et il est l’image de la justice divine qui frappe directement en lui des fautes dont il ne s’aperçoit pas. D’autre part, s’il est la cible des attentions des biens portants, le malade coopère à leur salut.